Aujourd’hui j’inaugure avec vous une nouvelle catégorie de billets sur le blog, «Questions à un Expert». Une fois par mois environ, je vous proposerai un entretien sur un sujet précis avec un(e) spécialiste de l’allaitement (consultante en lactation, sage-femme, pédiatre, leader d’association, etc.) Si vous avez un thème que vous souhaiteriez voir aborder dans cette série, ou si vous connaissez un(e) spécialiste de l’allaitement que vous voudriez que j’interview, envoyez-moi un petit mail ou ajoutez un commentaire ci-dessous.
Ce mois-ci j’ai interviewé Véronique Darmangeat, consultante en lactation certifiée ICBLC, membre fondateur de l’association de consultantes en lactation Prolactin’, et maman de deux enfants (allaités bien sûr !) sur le sujet "qu'est-ce qu'une consultante en lactation?"
Ségolène Finet : Bonjour Véronique, merci de nous accorder un peu de votre temps pour les lectrices du blog mamaNANA. Consultante en lactation est un terme un peu nouveau en France, pourriez-vous nous dire ce qu’est une consultante en lactation ?
Les consultantes en lactation certifiées ICBLC ont un diplôme international. C’est le même pour tous les pays : on passe le même examen le même jour. Ce n’est pas comme un diplôme habituel de l’université : pour avoir le droit de se présenter à l’examen il faut avoir une pratique importante. Au moment où j’ai passé le diplôme il fallait justifier de 1800 heures de pratique et de 190 heures minimum de formation à l’allaitement maternel après un bac +3 --- rien que pour se présenter à l’examen*. Cela veut dire que pendant au moins 1800 heures on a aidé des mères avec leur allaitement. 1800 heures, c’est beaucoup. Même pour des sages-femmes qui travaillent en maternité, ce n’est pas évident d’y parvenir : si une sage-femme fait surtout des accouchements et travaille peu en « suite de couches » par exemple, elle ne pourra pas justifier de 1800 heures de pratique.
En France on est peu nombreuses à se présenter à l’examen car les heures de pratique sont difficiles à trouver. Naturellement c’est plus facile si on est professionnel de santé dans un secteur où on passe beaucoup de temps avec les mères allaitantes. Par exemple : sages-femmes, pédiatres, etc. Si on n’est pas professionnel de santé, la seule manière d’avoir les heures de pratique est d’être active dans une association de soutien à l’allaitement maternel. Pour les heures de formation continue nécessaire à la préparation à l’examen (minimum de 200 heures de formation), il existe deux organismes de formation : le CREFAM et l’ACLP. En France il y a environ 286 consultantes en lactation aujourd’hui**.
*Pour consulter la liste actualisée des conditions requises pour se présenter à l’examen organisé par IBLCE , cliquez ici. voir la page 4
Et en ce moment est-ce que le métier de consultante en lactation progresse en France ? Est-ce que vous voyez une augmentation du nombre de personnes qui se préparent à l’examen ?
Oui, il y a eu une nette augmentation du nombre de consultantes en lactation ces derniers temps. Quand j’ai passé l’examen, c’était en 2005, déjà par rapport à 2002 il y avait deux fois plus de candidates, et cela augmente depuis tous les ans. Il y a de plus en plus de gens intéressés, car ce métier est mieux connu. On a de plus en plus de questions au sein de Prolactin’ de gens qui voudraient s’installer et passer l’examen.
Donc quelqu’un qui devient consultante en lactation IBCLC c’est quelqu’un de drôlement motivé par le sujet…
Oui surtout qu’il faut être re-certifiée tous les cinq ans grâce à des heures de formation continue, et repasser l’examen tous les dix ans.
Comment trouver une consultante en lactation ?
Il y a plusieurs annuaires en ligne qui répertorient les consultantes en lactation. Vous pouvez par exemple consulter le site de l’association Prolactin' (uniquement des consultantes en lactation qui exercent en indépendantes) : http://www.consultantenlactation.com/
Sur le site de l’AFCL (Association Française des Consultantes en Lactation) il y a une liste détaillée de consultantes qui indique si la consultante travaille dans le cadre d’un hôpital, d’une PMI, ou en libéral. La liste précise également le où les départements dans lesquels la consultante exerce: http://www.consultants-lactation.org/telecharger.php
Et puis le site de l’ILCA (International Lactation Consultant Association) a un annuaire mise à jour des consultants certifiés IBCLC et on peut chercher par pays et région : http://www.ilca.org/falc.html
Une petite précision: quand on demande dans une maternité ou une PMI s’il y a une consultante en lactation dans l’équipe, il faut savoir que le terme «consultante en lactation» désigne quelqu’un qui a le diplôme IBCLC. Parfois on vous proposera de rencontrer une «conseillère en allaitement», mais ce n’est pas la même chose : une conseillère est une personne du service qui s’est un peu plus formée sur l’allaitement et qui s’intéresse plus au sujet que ses autres collègues --- mais elle n’a pas le diplôme IBCLC.
Est-ce qu’une consultation avec une consultante en lactation est remboursée par la Sécurité Sociale ?
Au niveau international quelqu’un qui est consultante en lactation est automatiquement considéré comme un professionnel de santé. Mais ce n’est pas le cas en France. En France, seul les diplômes médicaux d’une université confèrent l’appellation de professionnel de santé.
Donc une consultante en lactation qui ne vient pas d’une profession médicale (c.à.d. qui n’est pas au départ sage-femme ou pédiatre ou puéricultrice, etc.) n’est pas considérée en France comme une professionnelle de santé. Du coup, la consultation n’est pas remboursée.
Les consultantes en lactation qui sont considérées comme des professionnelles de santé (dans le système français) sont celles qui avaient un diplôme médical ou paramédical, avant d’obtenir la certification IBCLC. Pour que cela soit remboursé il faut que la consultante en lactation travaille soit en hôpital, soit en PMI (où on ne paie pas du tout), soit on voit une sage-femme libérale qui est aussi consultante en lactation et qui va compter la consultation comme consultation de sage-femme.
Et quels sont les tarifs d’une consultante en lactation en libéral ?
Chaque consultante est libre d’établir son tarif. Il faut savoir qu’il y a une grande différence entre les tarifs en région parisienne et les tarifs en province. Mon tarif normal c’est 80 euros de l’heure mais je sais très bien que c’est inaccessible pour beaucoup de gens, donc je demande un minimum de 50 euros qui comprennent le déplacement, la visite, et le suivi téléphonique ensuite… Et les gens qui peuvent me payer plus, me payent plus. Les gens évaluent d’eux-mêmes ce qu’ils peuvent me donner.
En province c’est souvent moins cher. A Paris le prix minimum d’une consultation va tourner autour de 40 ou 50 euros. En province le prix minimum va être plutôt entre 30 et 40 euros. Naturellement quand on m’appelle j’explique bien mon tarif à l’avance.
Quand est-ce qu’on rencontre une consultante en lactation ? Est-ce que l’idéal est de la rencontrer enceinte pour un premier contact, ou plutôt après la naissance du bébé ?
Cela dépend vraiment. Soit on a des questions précises quand on est enceinte parce que par exemple on a vécu un premier allaitement qui s’est mal passé, parce qu’on a eu une chirurgie mammaire, ou des problèmes de santé particuliers – dans ce cas cela peut être tout à fait valable de rencontrer la consultante en lactation pendant la grossesse, pour faire le point avant et repérer d’emblée à quoi il va falloir faire attention dès la naissance. Cela peut être utile aussi si on est une maman qui préfère avoir un contact avec quelqu’un plutôt que de lire des livres. Il y a de très bons livres qui préparent à l’allaitement. Pour moi le meilleur c’est celui de Jack Newman. Pour beaucoup de maman lire suffit. Mais pour d’autres, la lecture cela ne marche pas. Elles préfèrent rencontrer quelqu’un. Et le problème c’est que souvent en maternité les formations à l’allaitement sont très nettement idéalisées. On dit aux mamans que c’est merveilleux, génial et que ce n’est que du bonheur et on ne leur parle pas de ce à quoi il faut faire attention.
Oui, on veut tellement encourager les mamans à allaiter que la moindre personne qui ose dire qu’il peut y avoir des problèmes s’entend dire « mais attends, tu vas les décourager »….
Exactement. Je vois des mamans très en colère après coup à cause de la préparation à l’allaitement qu’elles ont eu en maternité. Donc voir une consultante pendant la grossesse peut être utile, en fonction de la demande de la future maman. Ensuite, une fois que le bébé est né, on voit une consultante en lactation quand il y a une question particulière : si on a un bébé qui ne prend pas suffisamment de poids, si on a mal aux seins (en général parce que le bébé est mal positionné), etc. Plus tard, une fois l’allaitement lancé, on peut consulter sur des sujets précis : comment sevrer, comment gérer la reprise du travail, etc. La consultation de gestion du reprise du travail peut être pour des raisons différentes : pour sevrer complètement, ou pour continuer à allaiter mais sans tirer son lait au travail, ou bien au contraire « je veux tirer mon lait au travail » comment je peux faire. C’est une consultation que je fais très souvent.
Quelles sont les autres consultations « type », les grandes questions qui reviennent souvent ?
Le sevrage, en particulier les sevrages de bambins. Là ce sont des discussions longues. Au minimum une heure et demie. Parce qu’en général une maman qui n’arrive pas à sevrer un grand et qui a envie de sevrer, a besoin de mettre les choses au clair : de quoi a-t-elle vraiment envie ? Quelles sont ses priorités ?
Là vous rentrez dans un domaine plutôt « psycho » non ? On sort de l’aspect plutôt médical pur ?
Oui, mais l’allaitement ce n’est jamais du médical pur. Il y a toujours un aspect psychologique, émotionnel. C’est ce que m’a dit un pédiatre récemment « vous m’avez l’air bien jeune pour faire la grand-mère ! »
Je ne mettrai même pas l’étiquette « psychologique » d’ailleurs. Quelque soit la raison pour laquelle la maman rencontre une consultante en lactation, elle a besoin de parler et d’exprimer ce qu’elle vit, ce qu’elle ressent. Elle a besoin de quelqu’un qui l’écoute vraiment, qui ne va pas lui dire au bout de cinq minutes «et bien vous mettez telle crème et c’est bon».
Combien de fois voyez-vous une femme ?
En général je ne vois une femme qu’une fois. Je passe beaucoup de temps avec elle, pour bien mettre les choses à plat, pour qu'elle ait toutes les informations qui l’intéressent, qu’elle ait toutes les données qui lui conviennent à elle, qu’elle puisse continuer seule : par exemple qu’elle puisse bien repositionner le bébé au sein sans que je l’aide (dans le cas où elle a consulté parce que le positionnement du bébé au sein n’était pas bon par exemple). Il faut qu’elle sache repérer si son bébé déglutit régulièrement quand il est au sein ou bien s’il tétouille pendant une heure et demie mais qu’il n’avale rien, etc. Je lui donne la boîte à outil, et surtout je veux qu’elle soit au clair avec la décision qu’elles a envie de prendre, pour elle. Elle ne va pas forcément prendre une décision tout de suite mais au moins elle a toutes les informations nécessaires pour prendre sa décision de manière éclairée. Ensuite je fais le suivi par téléphone, sauf si la maman a envie que je vienne la voir régulièrement. Parfois il faut revoir le bébé quand la succion a beaucoup changé, mais c’est assez rare, en général je ne vois les femmes qu’une seule fois. Comme ce n’est pas remboursé par la Sécurité Sociale, c’est important de savoir qu’on ne va pas avoir des consultations répétées.
Est-ce que cela vous arrive qu’une femme vous appelle alors qu’elle est encore à la maternité ?
Oui, cela m’arrive souvent, mais c’est plus ou moins facile pour une consultante en lactation de l’extérieur de venir dans une maternité. Cela varie beaucoup en fonction des maternités. Certaines acceptent, d’autres non. Je téléphone toujours à la maternité avant de me déplacer pour avoir leur accord. Il y a des endroits où on me dit « mais pas de problème venez elle vous attend », et d’autres où ce n’est pas possible. Je conseille aux mamans d’en parler à l’équipe soignante à l’avance. Bien sûr la maman ne fera appel à moi que si elle n’obtient pas les réponses dont elle a besoin de l’équipe soignante : certaines équipes sont très compétentes en allaitement maternel, d’autres le sont moins.
Quelles sont les choses que vous abordez avec une femme qui vient vous voir avant la grossesse pour préparer son allaitement ?
On revoit plein de choses : la bonne position du bébé au sein, le comportement du bébé les trois premiers jours (parce que souvent les femmes sont très déstabilisées quand le bébé se met à faire la java la deuxième nuit), l’intérêt du colostrum, que faut-il surveiller, et surtout leur expliquer le fonctionnement de la maternité. Par exemple, à la maternité on va leur demander de l’info sur les couches de leur bébé, ce n’est pas pour les embêter mais pour vérifier qu’il mange correctement --- seulement le personnel de la maternité n’a pas toujours le temps d’expliquer pourquoi tel ou tel geste est fait (pourquoi on pèse, pourquoi on compte les couches, etc.) Cela parait un peu militaire parfois la maternité, mais en fait il y a des raisons. Je leur explique autant que possible comment faire en sorte que le bébé apprenne à prendre le sein avant la montée de lait. Je leur explique aussi comment mettre le bébé en peau à peau. On revoit tous ces sujets avec la maman et elle a toujours plein de questions. Je passe aussi en revue les questions de santé : est-ce qu’elle un problème médical qui pourrait rendre la mise au sein difficile, est-ce qu’elle prend des médicaments qui pourraient être éventuellement incompatibles avec l’allaitement, etc.
Donc une heure et demie, c’est vite passé !
Oui, surtout qu’il y a beaucoup de femmes qui n’ont jamais vu d’autres femmes allaiter, donc c’est un peu mystérieux..
Oui, il y a un grand manque culturel dans notre pays autour de l’allaitement. Les consultantes en lactation se sont un peu les grands-mères d’autrefois. C’est un savoir qu’on devrait avoir, mais qu’on n’a pas dans notre société. J’ai parfois des femmes qui viennent me voir en me disant qu’on leur dis qu’allaiter c’est mieux, mais franchement elles ne voient pas l’intérêt, et elles me voient avant pour avoir une idée précise de ce qu’est vraiment allaiter et est-ce qu’elles veulent vraiment allaiter ou pas. Ces mamans-là c’est particulièrement important de ne pas leur dépeindre un tableau tout rose, parce que ce n’est pas le cas. Dans la majorité des cas ce n’est pas le cas au début, parce qu’il y a souvent des petits soucis, qui peuvent se régler sans consultante en lactation bien sûr mais c’est important qu’elles soient prévenues… Il faut parler de tout : du bonheur d’allaiter mais aussi des difficultés éventuelles. Il faut y être préparée.
Et puis il y a aussi de rares cas où il y a vraiment de gros soucis au niveau de l’allaitement, par exemple j’ai récemment aidé une femme qui n’avait pas de lait du tout. On dit aux femmes, vous avez toutes du lait, est c’est vrai dans la très grande majorité des cas, mais il y a des exceptions. Et cette femme avait une condition hormonale qui faisait qu’elle ne pouvait pas avoir de lait. C’est moi qui l’ait envoyée chez l’endocrinologue. Elle est tombée des nues. Aucun des médecins qu’elle avait consultés n’avait fait le lien entre l’absence de lait et un possible déséquilibre hormonal. C’est pour cela aussi que je trouve important qu’il y a des consultantes en lactation. Parce qu’on va faire le lien entre plein d’éléments complexes et variés et que d’autres ne feront pas forcément ce lien là.
C’est pour cela que je me démène pour me faire connaître. En général les femmes sont enchantées de nous avoir trouvées, mais la grande difficulté c’est de faire connaître l’existence des consultantes en lactation!
Merci Véronique!
Petits commentaires de Ségolène :
Je trouve qu’une consultation avec une consultante en lactation est un super cadeau de naissance à faire à une amie ou une sœur enceinte qui va allaiter pour la première fois. Pour moi les consultantes en lactation sont vraiment les « pompiers » de l’allaitement maternel. Elles sauvent des allaitements tous les jours ! Et ce n’est pas réservé aux mamans qui ont leur premier bébé. Moi-même, j’ai rencontré une consultante en lactation après la naissance de Talia car, même si le démarrage de l’allaitement s’était bien passé, elle ne prenait pas le mamelon super bien en bouche, ce n’était pas super agréable, et je craignais qu’elle ait un frein de langue ou autre souci. C’est comme cela que j’ai appris (au troisième allaitement !!!!) que j’avais un réflexe d’éjection fort et que mon pauvre bébé était complètement « gavé » par mon lait en début de tétée… Et on a retravaillé ensemble le positionnement, la durée de la tétée (qui était un peu trop courte), etc. J’en suis ressortie avec les outils pour réussir seule, et tout est allé comme sur des roulettes ensuite (merci Léa!).
Naturellement, les consultantes en lactation ne sont pas les seules expertes dans ce domaine. On peut aussi se faire aider par un médecin ou une sage-femme qui a un DU d’allaitement* , ou bien par une animatrice d’une association de soutien à l’allaitement maternel (La Leche League, Solidarilait par exemple), ou bien par un professionnel de santé qui s’est formé sur le sujet (même s'il ou elle n’a pas de diplôme à la clef). Mais ce qui compte c’est de trouver quelqu’un qui a les compétences nécessaires. Et il ne faut pas hésiter à se faire aider. Trop souvent je rencontre des mères qui disent « oh j’ai sevré, je n’avais pas assez de lait », ou « oh j’ai sevré, je ne suis pas arrivée à gérer avec la reprise du travail »… Je leur demande si elles se sont faites aidées, si elles ont appelé la Leche League, en on parlé avec leur sage-femme, si elle ont rencontré une consultante en lactation et la réponse est souvent « oh non, je n’y ai pas pensé », comme si dans ce domaine demander de l’aide c’était un luxe inutile, comme s’il fallait avoir soi-même toutes les réponses. C’est vraiment un sujet sur lequel il ne faut pas hésiter à se faire aider, et où il faut sélectionner soigneusement la personne qui vous aide : ici, la bonne volonté ne suffit pas !!!
*Outre le diplôme de consultante en lactation certifiée IBCLC, il existe en France un autre diplôme reconnu nationalement : il s’agit du Diplôme Inter-Universitaire “Lactation Humaine et Allaitement Maternel”, couramment appelé « DU d’allaitement ». Réservé aux professionnels de santé ayant déjà une solide expérience dans le domaine de l’allaitement maternel, ce diplôme représente 102 heures d’enseignement théorique. Pour plus de renseignements, cliquez ici (site de l’institut Co-naître qui organise les enseignements de ce diplôme).