C’est Drew qui écrit aujourd’hui, avec sa plume masculine, pour un regard sur les deux nouvelles études publiées la semaine dernière sur l’allaitement en France. Elles révèlent plusieurs choses sur le taux d’initiation et la durée d’allaitement en France, certes, mais je trouve leur couverture médiatique, elle aussi, très révélatrice !
Commençons avec les études elles-mêmes, toutes les deux parues le mardi 7 octobre dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire.
D’abord, l’étude Epifane complète une première étude Epifane parue en 2012 qui avait alors révélé un taux d’initiation à l’allaitement de 69.1% en maternité. La nouvelle étude Epifane révèle un taux d’initiation de 5 points de plus, 74%. De plus, la nouvelle étude Epifane révèle une durée moyenne de 105 jours, un peu plus de 3 mois, mais cette moyenne cache une réalité assez complexe. A 3 mois, 40% des mamans allaitantes continuent à allaiter, dont 21% de façon exclusive ou prédominante. À 6 mois, 23% des enfants sont encore allaités. Enfin, à un an, seuls 9% des petits Français sont encore allaités.
L’autre étude parue cette semaine, l’étude Elfe, arrive à un taux d’initiation légèrement plus faible, 70.5%, avec une nuance : 59% taux d’initiation à l’allaitement exclusif, et 11.5% taux d’initiation à l’allaitement mixte (en association avec des préparations pour nourrissons).
Les deux études ont été faites par des chercheurs sérieux, sur des échantillons représentatifs, en utilisant des méthodes rigoureuses. L’étude Epifane—Epidémiologie en France de l'alimentation et de l'état nutritionnel des enfants pendant leur première année de vie—a été réalisée par l’Institut de veille sanitaire (InVS) sur un échantillon aléatoire de 3,368 enfants nés au cours du premier trimestre 2012, dans 136 maternités de France métropolitaine.
L’étude Elfe—Etude longitudinale française depuis l’enfance--a été réalisée par une équipe de trois centres de recherche, INED (l’Institut national des études démographiques), INSERM (l’Institut national de la santé et la recherche médicale), et EFS (Etablissement français du sang), sur un échantillon de 18,000 enfants nés tout au long de l’année 2011 en France métropolitaine.
Pour moi, ces deux nouvelles études annoncent de très bonnes nouvelles pour la santé publique : le taux d’initiation à l’allaitement continue à grimper en France, et la durée continue à se prolonger. Regardez le graphique ci-dessous montrant le taux d’initiation à l’allaitement entre 1987 et 2002, paru dans le colloque Antrop en 2006 , et vous aurez une idée des progrès remarquables depuis 1987, avec un taux de 41% comme point de départ :
Malheureusement, la couverture médiatique n’a pas mis l’accent sur ces progrès remarquables, mais sur la durée de l’allaitement en France, plus courte qu’ailleurs en Europe, et surtout inférieure aux recommandations de l’OMS.
L’article sur Europe 1, par exemple, commence par le titre suivant : Pourquoi les Françaises boudent-elles l’allaitement ? Les premières lignes de l’article sont cohérentes avec le titre :
Alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise une durée idéale d’allaitement exclusif de six mois, un peu moins du quart des nourrissons français âgés de six mois sont encore nourris au sein, contre 33% aux Pays-Bas et 82% en Norvège selon une récente étude. Pourquoi les Françaises allaitent peu ? Et doit-on s’en inquiéter ?
On ne voit jamais dans l’article les progrès remarquables.
Par ailleurs, l’article de l'Express, ayant pour titre : Les mères françaises allaitent moins que leurs voisines européennes et moins longtemps. Ce n’est pas faux, mais où parle-t-on des progrès considérables depuis 30 ans?
Regardons l’article du Figaro, avec le titre suivant : 1/4 des nourrissons allaités jusqu'à 6 mois. Ce titre semble neutre, et on aurait pu espérer à un article relayant les progrès remarquables, mais hélas ce n’est pas le cas :
Un peu moins d'un quart des nourrissons français sont encore allaités à l'âge de six mois, dont seulement la moitié de façon exclusive, contre 33% aux Pays-Bas et 82% en Norvège, selon une étude publiée aujourd'hui dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire(BEH). Ce résultat contraste avec les recommandations du Programme national nutrition santé (PNNS), qui préconise l'allaitement maternel "de façon exclusive jusqu'à 6 mois et au moins jusqu'à 4 mois pour un bénéfice santé".
L’exception parmi ces reportages négatifs est l'article paru dans Le Point : Plus des deux tiers des nourrissons allaités en France. La formule « plus de » appelle l’attention de manière différente sur les mêmes études, mettant l'accent sur un pourcentage élevé.
Pourquoi les journalistes insistent-ils sur une présentation plutôt négative ? Je crois que le coupable, là, c’est l’InVS. Son communiqué de presse sur la nouvelle étude Epifane établit justement le ton repris par les médias :
En France, l'objectif d'un allaitement maternel jusqu'à 6 mois ne concerne qu'un quart des nourrissons
Le Programme national nutrition santé (PNNS) recommande l’allaitement maternel « de façon exclusive jusqu’à 6 mois, et au moins jusqu’à 4 mois pour un bénéfice santé ». Il préconise également de poursuivre l’allaitement maternel après 6 mois en accompagnement d’une alimentation diversifiée. L’étude Epifane, réalisée en 2012-2013 par l’Institut de veille sanitaire (InVS), permet de disposer pour la première fois de données nationales sur la durée de l’allaitement maternel. Le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire (BEH) publie aujourd’hui ces résultats qui permettront de mieux cibler les actions pour encourager l’allaitement maternel et sa poursuite. En effet, moins d’un enfant sur quatre est allaité jusqu’à 6 mois.
Cette étude a porté sur un échantillon aléatoire de 3368 enfants, nés au cours du premier trimestre 2012, dans 136 maternités tirées au sort en France métropolitaine. Les mères étaient interrogées à la maternité ainsi qu’à 1 mois, 4 mois, 8 mois et 12 mois après la naissance. A la maternité, 81 % des mères ont accepté de participer à l’étude, et 83 % d’entre elles ont été suivies jusqu’à 12 mois.
A la maternité, 74 % des mères ont débuté un allaitement maternel. Près de 40 % des nourrissons étaient encore allaités à 3 mois, mais seulement 21 % de façon exclusive ou prédominante (sans complément de biberons de préparations pour nourrissons du commerce). A 6 mois, 23 % des enfants étaient encore allaités, et à un an, seuls 9 % l’étaient toujours.
En Europe, les taux d’allaitement maternel à 6 mois variaient de 33 % aux Pays-Bas en 2003, à 82 % en Norvège en 2007. Ainsi, la France est non seulement l’un des pays d’Europe où le taux d’initiation de l’allaitement maternel à la naissance est l’un des plus bas mais également l’un des pays où les mères qui choisissent d’allaiter leur enfant le font le moins longtemps.
Les résultats de ces études montrent que, au regard des recommandations actuelles, les mères qui ont choisi d’allaiter leur enfant devraient être encouragées à maintenir un allaitement maternel si possible jusqu’à 6 mois. En décrivant les pratiques alimentaires des nourrissons au cours de leur première année de vie, l’étude Epifane s’inscrit dans les missions de l’InVS, en particulier dans son programme de surveillance de l’état nutritionnel de la population. Ces informations seront également utiles aux actions d’information menées par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes).
Si vous étiez journaliste et que vous veniez de recevoir ce communiqué de presse en provenance d'une source sérieuse et respectée, et que vous n’aviez que peu de temps avant de soumettre un article et peu de connaissances indépendantes, que feriez-vous ? Eh bien, vous feriez exactement ce qu’ont fait les journalistes qui ont écrit les articles cités ci-dessus : vous rependriez le ton du communiqué de presse !
Si seulement l’InVS avait pensé à l’effet sur le grand public des titres négatifs inspirés par son communiqué de presse. Si seulement l’InVS avait encadré le sujet différemment . . .
Et alors ? Que la couverture médiatique présente les données de manière optimiste ou pessimiste, qu’est-ce que cela pourrait changer, quand les données sont celles que l'on connaît ?
C'est simple : la perception que l'on a de la réalité va naturellement influencer ses décisions. Dans ce contexte, prenons l’exemple d’une femme enceinte ou jeune maman qui hésite à allaiter son enfant au sein. Si sa perception est que peu de femmes françaises allaitent, elle sera probablement moins ouverte à la possibilité d’essayer. En revanche, si sa perception est que beaucoup de femmes françaises allaitent, et que c’est une vraie tendance, l’effet d’entrainement pourrait la rendre plus ouverte à cette possibilité. Et ce, quelle que soit la réalité ; c’est dans ce cas la perception qui compte. On constate que le choix d’initier l’allaitement maternel est une tendance forte et croissante en France. Que les médias ne sapent pas l’effet d’entrainement !
Par ailleurs, nous pouvons nous inspirer en regardant ce qui se passe ailleurs. Prenons la Belgique : quand l’OCDE a publié un rapport sur l’allaitement en 2005 (mis à jour en 2009), le taux en Belgique ne devançait guère celui de la France :
Certes, nous pouvons (et devons) nous réjouir de la hausse assez rapide en France, mais il faut toutefois comprendre que nous aurions pu faire mieux, comme en Belgique. En décembre 2013, l’Office de la Naissance et de l'Enfance (ONE) en Belgique a annoncé un taux d’initiation de 83%. Si le taux monte rapidement en France, il monte beaucoup plus rapidement chez nos voisins Belges !
Comment expliquer cette différence d’évolution ? Comment s’inspirer de la Belgique pour atteindre les mêmes résultats ?
Une des pistes à suivre concerne l’IHAB, l’Initiative Hôpital Ami des Bébés. Comme nous l’a expliqué le docteur Marc Pilliot en janvier, l’IHAB concerne la totalité de l’accueil du nouveau-né, qu’il soit allaité ou non, mais les pratiques IHAB aident à la mise en place d’un allaitement au sein. Et en Belgique, où l’Etat a depuis 10 ans fait de l’IHAB une priorité, 21% des maternités sont maintenant labellisées ! En France, en revanche, où l’Etat ne soutient guère l’initiative, seulement 3.2% des maternités sont labellisées. Voir la carte ici.
Je reviens sur mon envie de voir naître en France une campagne de lobbying en faveur d’une meilleure formation des professionnels de santé autour de l’allaitement maternel. La Belgique doit nous inspirer : plus les professionnels de santé ont de connaissances en lactation humaine, plus le taux d’initiation monte rapidement. Tout le monde y gagne. Qu’attendons-nous ?